La règle de droit est, à tort ou à raison, une règle considérée comme nécessaire et utile à la vie sociale. Elle est fondamentalement une règle d’organisation, définie et fixée par la société et pour cette société, dans le cadre de la loi, au sens large du mot.
Or, dans l’appréciation de la nécessité et de l’utilité, des nuances sont possibles. Il est des règles qui sont à la fois nécessaires et utiles, il en est d’autres qui sont simplement utiles. Cela transparaît dans le statut même de la règle de droit :
Il existe donc une différence fondamentale entre les deux types de lois et qui réside dans la force
Ce principe est de portée générale et ne souffre aucune exception, nonobstant le fait qu’il existe certaines situations originales elles ne peuvent être considérées - à proprement parler -comme des exceptions. Par exemple, les dispenses dont peuvent faire l’objet certaines lois impératives, en faveur de personnes déterminées et sur l’initiative du Président de la République (art. 164 du Code civil) ou du procureur de la République (art. 145). Exemple pour le mariage.
Mais ce principe n’en est pas moins sujet aux diverses fluctuations que traverse notre société, il n’est pas intangible et doit s’adapter aux évolutions qui caractérisent notre société et qu’il est censé ordonner.
L’enjeu est important : trop de règles d’ordre public et l’autonomie de la volonté des sujets de droit est « anesthésiée », aliénée par une intervention trop forte et autoritaire de l’État. A l’inverse, trop de règles supplétives et le risque est grand de voir surgir les excès du libre jeu des volontés individuelles.
Faut-il alors penser comme le disait Monsieur Lacordaire « qu’entre le faible et le fort, c’est la liberté qui opprime et c’est la loi qui affranchit » ?
Notre système de droit semble aller en ce sens au regard du déclin de l’autonomie de la volonté apparu dans l’évolution du droit postérieure au Code civil.
Quoi-qu’il en soit, que cette évolution soit ou non confirmée dans les faits, une question essentielle demeure : quant peut-on dire qu’elle est supplétive ; aucune définition légale n’étant donnée des unes et des autres ? Il nous faudra donc dans un premier temps rechercher quels peuvent être les critères de distinction de chacune d’entre elles (I) pour analyser ensuite quels peuvent être les effets de cette distinction (II) notamment à l’égard des sujets de droit, principaux intéressés.A priori, la distinction parait évidente et réside dans le degré de force obligatoire dont bénéficie chaque loi (A). Mais en réalité cette distinction est dans de nombreux aspects incertaine, pour ne pas dire floue (B).
Tout d’abord, nous l’avons dit, les deux types de loi se distinguent quant à leur nature, c’est-à-dire la force obligatoire dont elles peuvent être dotées. Ainsi, lorsqu’une loi est dite d’ordre public, l’on ne peut en aucun cas y déroger par convention contraire (par exemple, en matière de divorce, nul couple marié ne saurait se séparer et se prévaloir des conséquences de cette séparation sans s’être conformé aux règles du divorce fixées par le Code civil). A l’inverse, lorsqu’une loi est dite supplétive ou encore interprétative de volonté, l’on peut par convention ou toute autre manifestation de volonté y déroger (ainsi, lorsque deux époux se sont mariés en faisant un contrat de mariage pour stipuler qu’ils seront séparés de biens, ils écartent les dispositions de l’art. 1400 du Code civil relatif au régime de la communauté qui, dans leur silence, aurait trouvé naturellement à s’appliquer).
Ensuite, et la plupart du temps, la loi précise elle-même que toutes ses dispositions ou certaines d’entre elles sont d’ordre public en utilisant les formules : « le présent texte est d’ordre public » ou « nonobstant toute clause contraire » ou encore « à peine de nullité de toute convention contraire ». Dans les lois supplétives figurent au contraire la formule « sauf clause » ou « convention contraire » ce qui laisse aux particuliers la possibilité de déroger au texte.
Chaque fois que l’État veut autoritairement organiser une activité dans un domaine déterminé, il déclare la loi d’ordre public, de manière à briser les résistances qui pourraient se manifester par des conventions contraires à la loi.
Beaucoup moins certaine est la situation qui se présente lorsque la loi est muette sur son caractère.
À défaut de mentions légales, c’est au juge qu’il incombe de décider du caractère d’ordre public ou supplétif de la loi et de dire si les particuliers peuvent y déroger par convention. Pour ce faire, le magistrat examinera si cette loi a été inspirée par une considération d’intérêt général, si elle est indispensable à la collectivité ou si elle a simplement pour objet de protéger certains intérêts particuliers.
Il est évident qu’il y a une certaine part d’application subjective dans la détermination du caractère impératif ou non d’une loi.
Une autre considération, et non des moindres, est que l’art. 6 du Code civil, pour limiter les effets de l’autonomie de la volonté, se base sur des notions extrêmement fluctuantes, mouvantes au gré des époques. Plus floue que la notion d’ordre public, la notion de bonnes mœurs repose sur un critère purement moral et en l’absence de consensus sur les comportements susceptibles d’être jugés conforme ou contraire aux bonnes mœurs, (art. 6 et 1134 du Code civil) force est de constater que la jurisprudence a parfois tendance à identifier les bonnes mœurs aux conceptions morales de la magistrature.
Ceci étant, et indépendamment des problèmes relatifs aux difficultés de détermination, une fois la qualification « d’ordre public » ou de « supplétif » effectuée, il en découle plusieurs conséquences à l’égard des sujets de droit qui soit de « tributaires » soit de « libertaires » n’en seront pas moins soumis à un régime spécifique.
Autrement dit, si loi supplétive il y a et que le sujet de droit s’y oppose de par sa volonté, sa liberté n’en sera pas pour autant totale et demeurera « surveillée ».
Elles se manifestent à deux points de vue :
Il est certain que le particulier à qui l’on oppose une loi impérative ne peut s’y dérober comme il l’entend. A moins d’en contester la validité devant les tribunaux. En revanche, en présence d’une loi supplétive, l’individu retrouve pleine possession de son autonomie de volonté, du moins et à condition de ne pas déroger, par des conventions particulières, aux lois qui intéressent l’ordre public et les bonnes mœurs (arts. 6 et 1134 du Code civil) : c’est-à-dire aux lois impératives. On constate donc, en tout état de cause, une sujétion de l’autonomie de la volonté à l’égard des lois impératives.
Cela veut-il dire, à contrario, que l’on puisse déroger à toutes les autres lois qui n’intéressent pas l’ordre public et les bonnes mœurs ?
En réalité, nous l’avons vu, à défaut de définition objective et incontestable de ce que sont l’ordre public et les bonnes mœurs, beaucoup de lois à caractère impératif viennent s’incruster dans des domaines qui y sont pourtant étrangers, réduisant d’autant le rôle de la volonté qui si elle refusait de s’y soumettre, s’exposerait à des sanctions.
Il serait faux de croire qu’en présence d’une règle supplétive, le caractère obligatoire de la règle de droit disparaît, il ne s’en trouve que sensiblement atténué. La règle s’applique dans les conditions qu’elle a elle-même fixées, si les intéressés n’ont rien dit, elle devra jouer.
Obligatoires, donc, tant la règle impérative que supplétive sont sanctionnées par l’autorité publique. Cela se traduit par la possibilité ouverte aux intéressés de réclamer, d’exiger l’exécution de la règle mais aussi de la condamnation de celui qui y contrevient. Ainsi, un contrat conclu en violation de l’ordre public est frappé d’une nullité absolue, souvent qualifiée de nullité d’ordre public (du moins s’il s’agit de l’ordre public de direction) la nullité du contrat serait simplement relative si est en cause l’ordre public de protection. Mais là encore, la distinction n’est pas toujours facile à mettre en œuvre...