LA COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME

La Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales a été élaborée au sein du Conseil de l’Europe (créée en 1949). Elle fut signée le 4 novembre 1950, et est entrée en vigueur en 1953. Elle s’inspire de la déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, avec pour objectif la sauvegarde et le développement des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Avec la convention étaient prises les premières mesures propres à assurer la garantie collective de certains droits énoncés dans la déclaration universelle.

La France a ratifié tardivement la convention le 3 mai 1974 et reconnu le droit de requête individuelle que le 3 octobre 1981 car elle s’opposait à tout contrôle supranational supplémentaire susceptible de limiter la souveraineté nationale.

La Convention met en place un mécanisme international juridictionnalisé : la Cour européenne des droits de l’homme qui contrôle le respect des droits énoncés pour les Etats ayant ratifié le texte.

Ce contrôle faisait à l’origine intervenir trois organes : la commission européenne des droits de l’homme, la cour, et le comité des ministres de l’Europe (composé des ministres des affaires étrangères).

D’après le texte initial de la convention, la reconnaissance du droit au recours individuel était facultative et ne pouvait être invoquée qu’à l’encontre des états qui avaient accepté de le reconnaître. Les requêtes faisaient tout d’abord l’objet d‘un examen préliminaire par la commission, qui statuait sur leur recevabilité. Dès lors qu’une requête était déclarée recevable, la commission se mettait à la disposition des parties en vue d’obtenir un règlement amiable. En cas d’échec, elle rédigeait un rapport établissant les faits et formulant un avis sur le fond de l’affaire. Le rapport était transmis au comité des ministres. La commission disposait alors d’un délai de trois mois pour porter l’affaire devant la cour. Les particuliers ne pouvaient pas saisir la cour directement.

Le protocole n° 11 du 11 mai 1994, entré en vigueur le 1er novembre 1998 instaure un nouveau système avec une cour unique et permanente à la place de la commission et de la cour et apporte divers aménagements (en particulier concernant le recours individuel).

Sur la base de ce nouveau protocole nous verrons en premier lieu : l’Organisation fonctionnelle de la CEDH, puis les modes de saisines de la cour et l’incidence des arrêts rendus.

I. L’ORGANISATION FONCTIONNELLE DE LA COUR

A) Formation de la Cour

La Cour se compose d’un nombre égal de juges à celui des états contractants (soit 41 juges) élus pour six ans par l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. La Cour comprend plusieurs formations :

Pour l’examen des affaires elle siège en comité des trois juges, en chambre et en grande chambre (art. 27 de la Convention), quant à l’assemblée plénière elle a une fonction administrative (elle élit le président, le vice-président, constitue les chambres... etc.).

B) Procédure

La Cour est une juridiction internationale, la procédure est contradictoire et elle comprend une phase écrite avec un dépôt de mémoires et une phase orale avec audience, en principe publique, sauf si la cour en décide autrement dans l’intérêt d’une partie.

La Cour est compétente pour demander aux parties tout renseignement utile et accomplir toutes mesures d’instruction qu’elle juge nécessaire, en particulier entendre des témoins ou experts et effectuer des visites sur les lieux. Elle peut autoriser des tiers par exemple un état contractant qui n’est pas partie au litige, une association, une O.N.G. ou autre institution à présenter des observations.

La Cour peut demander aux états d’adopter des mesures provisoires, c’est-à-dire d’indiquer à l’état défendeur les mesures qu’elle juge nécessaire de prendre dans l’attente de son arrêt (par exemple : surseoir à l’exécution d’un acte susceptible de causer un préjudice irréparable à la victime, comme une mesure d’expulsion).

Les décisions sont prises à la majorité des membres avec la voix prépondérante du président en cas de départage des voix.

II. LES MODES DE SAISINES DE LA COUR ET L’INCIDENCE DES ARRÊTS RENDUS

A) Recours étatique

L’état contractant peut saisir la cour d’un manquement aux dispositions de la convention ou de ses protocoles qu’il croira pouvoir être imputé à un autre état contractant (art. 33 de la convention, anciennement art. 24).

L’une des principales caractéristiques de ce recours est qu’il est objectif : l’accord de l’état mis en cause n’est pas exigé, la nationalité des particuliers victimes de la violation est indifférente, mais surtout l’état requérant n’a pas à faire valoir d’intérêt personnel à agir.

Tout état partie peut exercer ce droit de recours dans le seul but de voir respecter l’ordre public européen, dès lors qu’il lui apparaît que la convention est violée par un autre État partie.

Il peut donc porter à la connaissance de la Cour la violation des droits de particulier par une norme ou une pratique administrative contraire à la convention, mais également un manquement aux dispositions non matérielles à la convention (par exemple, des obstacles à l’exercice efficace du droit de requête individuelle).

Dans la pratique le recours étatique est rare. Deux affaires en tout avec sept affaires portées devant la cour, exemple : Chypre contre Turquie au sujet de l’occupation du nord de l’île de Chypre par la Turquie. En pratique, les états préfèrent un règlement politique ou à l’amiable, ils sont réticents à introduire une requête pour la violation des droits de l’homme devant un organe supranational, de peur que cette arme ne se retourne ensuite contre eux. Le droit de recours étatique est réservé aux violations graves et caractéristiques des droits et libertés fondamentales (notamment des cas de torture, ou traitements inhumains). Mais même dans ce cas, les états préféreront la solution diplomatique.

B) Recours individuel

Le recours individuel est ouvert à toute personne physique, O.N.G., association, personne morale de droit privé, parti politique, syndicat etc. (art. 34 de la Convention). Le Requérant doit avoir un intérêt juridique à agir :

Cependant, il existe un assouplissement de cette règle si la victime démontre que le seul fait de l’existence d’une législation contraire à la convention même en l’absence d’application, risque d’avoir pour elle des effets négatifs (ex. : arrêt du 22 octobre 1961 Dudgeon contre le Royaume-Uni au sujet d’une législation réprimant des relations homosexuelles entre majeurs consentants en privé).

La Cour considère que même si le requérant homosexuel n’a fait personnellement l’objet d’aucune sanction, l’existence même de la loi l’amène à régler sa conduite, et constitue une ingérence permanente dans sa vie privée.

La quasi-totalité des recours portés devant la Cour sont individuels : en 2001, 351 décisions sur la recevabilité et 888 arrêts, et l’argumentation est constante.

En matière contentieuse, la Cour est amenée à remplir trois fonctions : elle statue sur la recevabilité des requêtes, elle tente un règlement amiable, et elle statue sur le fond de la requête. Moins de 10 % des requêtes individuelles sont déclarées recevables. Une requête pour être recevable doit être dirigée contre un état ayant ratifié la convention, elle doit porter sur des violations de droits protégés par la convention.

De plus, il faut que le requérant ait épuisé les voies de recours interne. Le mécanisme européen de contrôle est donc subsidiaire par rapport à la protection en droit interne. La protection des droits énoncés dans la convention doit être assurée en premier lieu par ordre juridique interne des états parties conformément aux règles procédurales nationales. Le requérant doit d’abord s’adresser aux juridictions internes et le recours devant la cour ne sera recevable que dans la mesure où le manquement allégué à la convention ne serait pas redressé par celles-ci. Le but est de permettre aux juridictions internes de répondre, réparer la violation à la convention. Le requérant doit donc invoquer devant les juridictions internes le manquement à la convention, c’est seulement en cas de rejet que son recours sera recevable devant la Cour.

Il y a toutefois une exception : si le recours interne n’est pas de nature à remédier à la violation de la convention, par exemple : requête devant un organe de consultation dépourvu de tout pouvoir. La Cour doit être saisie dans un délai de six mois à partir de la décision définitive.

Si la requête est déclarée recevable, la Cour poursuit l’examen contradictoire de l’affaire, elle procède à une enquête pour établir les faits et proposer aux parties un règlement amiable de l’affaire (art. 38 b de la Convention).

Le règlement à l’amiable est confidentiel. Il aboutit au versement d’indemnités financières ou retrait d’un acte individuel (par exemple : la levée d’un arrêté d’expulsion).

S’il n’y a pas de règlement à l’amiable, la Cour prononce un arrêt motivé, sur la question de savoir si les faits constituent ou non, de la part de l’état défendeur une violation de la convention ou de ses protocoles.

La Cour s’en tient au cas d’espèce, in concreto, elle ne se prononce pas in abstracto c’est-à-dire sur la compatibilité d’une loi ou disposition conventionnelle. Elle n’a pas le pouvoir d’adresser des injonctions aux États. Elle ne peut pas annuler une norme interne, ou casser une décision juridictionnelle, elle peut suggérer la forme pour mettre fin à la violation.

En cas de violation de la convention par état défendeur si le droit interne de ce dernier ne permet pas ou imparfaitement d’effacer les conséquences de cette violation, la Cour peut accorder au requérant une satisfaction équitable: c’est-à-dire condamner l’État à verser à la victime une somme dont elle évalue le montant en équité (art. 41 de la Convention).

C) Exécution de l’arrêt et incidence sur le droit interne

L’arrêt est obligatoire pour l’État concerné, qui doit s’y conformer (art.4651). L’État doit assurer l’exécution de l’arrêt et prendre toutes les mesures propres à mettre fin à la violation. Le comité des ministres est chargé de surveiller l’exécution.

Les arrêts de la Cour européenne ont souvent des conséquences qui vont bien au-delà du simple cas d’espèce.

Derrière l’affaire soumise aux organes conventionnels peut se cacher une législation, une réglementation, une jurisprudence ou une pratique contraire aux exigences de la convention. En cas de constatation de la violation, l’État défendeur, s’il ne veut pas se trouver face à un afflux de requêtes individuelles similaires et à de nouvelles condamnations, il est alors contraint de modifier son droit interne pour le mettre en conformité avec la convention.

De même que l’État qui laisse subsister dans son droit interne des règles similaires à celles qui ont valu à un autre état partie un constat de la violation de la convention méconnaît ses obligations conventionnelles (par exemple, arrêt du 30 juillet 1998, Valenzuelas contrera contre Espagne).

En définitive, la Cour européenne des droits de l’homme est un des organes juridictionnels internationaux les plus efficaces au niveau international pour la protection des droits de l’homme. Le problème restant que son activité est régionale (limitée à l’Europe), de plus les délais de décision sont longs et nuisent à la protection des droits de l’homme.