INTRODUCTION AUX ETUDES JURIDIQUES IMMOBILIERES

 

Commentez la formule suivante de Henri VIALLETON : «Le patrimoine est un sac que chaque homme porte sa vie durant sur son épaule et dans lequel viennent s’enfourner pêle-mêle tous ses droits, ses créances et ses dettes».

Dans le langage courant, le patrimoine désigne la richesse d’une personne physique ou morale, le montant de ses avoirs. Pour le droit, le patrimoine est l’ensemble des droits et obligations d’une personne, ayant une valeur économique ou pécuniaire et étant dans le commerce juridique. Le patrimoine, au sens juridique du terme, présente donc deux aspects très particuliers :

Le patrimoine est en perpétuelle évolution durant la vie des personnes, il peut être positif c’est-à-dire comporter un actif ou au contraire être négatif à la suite de mauvaises affaires.

Il est important de déterminer le patrimoine des personnes, car si l’on souhaite faire des affaires, il est indispensable de connaître le contenu du patrimoine de votre débiteur qui sera votre garantie. Par exemple, si vous demandez un prêt à votre banquier, il va immédiatement vous interroger au sujet de la composition de votre patrimoine.

Le code civil ne traite pas du patrimoine. Ce sont AUBY et RAU qui, dans leur célèbre cours de droit civil en ont systématisé la notion. Ainsi, la notion de patrimoine est d’origine doctrinaire et non légale.

Selon cette doctrine, l’unité des éléments qui constituent cette universalité n’est autre que celle du sujet des droits et des obligations.

Cette analyse classique de la notion de patrimoine porte atteinte à la vie des affaires. En effet, une même personne physique ou morale peut avoir des secteurs d’activité différents et délimités. Il serait souhaitable de pouvoir isoler les masses de biens et de dettes qui leur correspondent. C’est pour remédier à cette situation de fait inconciliable que la conception moderne du patrimoine s’est orientée vers le patrimoine d’affectation, que le législateur est venu appuyer en créant la S.A.R.L. unipersonnelle, qui n’a pas donné en l’espèce toute satisfaction.

La phrase à commenter s’articule en deux parties. D’une part, c’est «un sac que chaque homme porte sa vie durant sur son épaule»", et d’autre part «dans lequel viennent s’enfourner pêle-mêle tous ses droits, ses créances et ses dettes».

Aussi, allons-nous rechercher, dans une première partie, à définir les caractères de ce contenant (le sac), pour nous attacher, dans un second temps, au contenu du patrimoine.

 

I. LE PATRIMOINE EST UN SAC QUE CHAQUE HOMME PORTE SUR SON EPAULE : LES CARACTERES DU PATRIMOINE

Le patrimoine est lié à la personne, c’est d’après AUBRY et RAU une « émanation de la personnalité ». Les droits, les créances et les dettes se trouvent réunis en un tout par leur rattachement à l’individu qui en est titulaire. Les caractères du patrimoine découlent de cette conception : ce sont l’unité, l’universalité et l’inaliénabilité.

A) L’unité

B) L’universalité

Il ne faut pas confondre le «sac» et les droits, créances et dettes qui viennent «s’y enfourner pêle-mêle». Le patrimoine est une entité abstraite distincte des éléments qui ne sont que son contenu. De ce principe d’universalité découlent deux conséquences :

  1. Dans la mesure où les créanciers ont un droit de gage général sur le patrimoine de leur débiteur (créancier chirographaire), ils pourront faire saisir (pour se faire payer) tous les éléments de ce patrimoine à savoir les biens présents et même les biens futurs. Ainsi le débiteur qui possédait peu de biens au moment de l’échéance de sa dette pourra, si par la suite sa situation s’améliore, perdre dans une saisie ses nouveaux biens.
    Naturellement les créanciers ne peuvent saisir que les biens saisissables du patrimoine de leur débiteur. Leur garantie suit donc les gonflements et les dégonflements du « sac », ils ne peuvent saisir les biens sortis sans fraude du patrimoine.
  2. Au décès du titulaire le patrimoine se transmet tel qu’il est, c’est-à-dire avec un actif et un passif. L’héritier peut donc recevoir [...] des dettes. C’est pour lui éviter ce désagrément que la loi permet d’accepter l’héritage "sous bénéfice d’inventaire", cela signifie qu’avant d’accepter il peut demander à être informé sur la consistance du patrimoine. Lorsque l’inventaire aura été fait il pourra accepter ou refuser définitivement la succession.

C) Inaliénabilité

Henri VIALLETON précise que chaque homme porte le sac patrimoine sur son épaule "sa vie durant". Ceci est logique : puisque le patrimoine est lié à la personnalité il reste attaché à son titulaire tant que sa personnalité demeure.

L’individu, durant sa vie, ne peut donc disposer de son patrimoine, il ne peut que céder des droits ou des biens. S’il cédait tout le contenu, le contenant resterait «sur son épaule».

Par contre le patrimoine, à la différence des autres attributs de la personnalité, se transmet à cause de mort : les héritiers "continuent" la personne du défunt et reçoivent son patrimoine qui vient se fondre dans le leur, à condition d’accepter le patrimoine transmis. 

Les caractéristiques du «sac» ainsi définies, recherchons maintenant quelles sont celles de son contenu.

 

II./ DANS LEQUEL VIENNENT S’ENFOURNER PELE-MELE TOUS SES DROITS, SES CREANCES ET SES DETTES : LE CONTENU DU PATRIMOINE

Le patrimoine, composé d’un actif et d’un passif, comprend « tous les droits, les créances et les dettes ». En fait il faut remarquer que certains droits sont dits « extrapatrimoniaux » c’est-à-dire qu’ils n’entrent pas dans le patrimoine : ce sont les droits de la personnalité. Le droit au nom, à l’image, à l’honneur appartiennent à chacun mais n’ont pas de valeur pécuniaire.

Les droits patrimoniaux, contenu du patrimoine, peuvent être classés en deux catégories ; d’une part les droits dont parle Henri VIALLETON sont les droits réels et les droits intellectuels, d’autre part les créances et les dettes constituent ce que le droit appelle, les droits personnels.

A) Les droits réels et les droits intellectuels

1) Les droits réels

Ce sont les droits qui s’exercent sur les biens. (en latin «res» signifie chose). On distingue traditionnellement les droits réels principaux et les droits réels accessoires.

Les droits réels principaux portent sur le bien lui-même ce qui signifie que leur titulaire peut matériellement agir sur le bien : il a un pouvoir dont l’étendue dépend des prérogatives attachées à son droit réel.

On trouve :

  1. Le droit de propriété : c’est le droit réel le plus absolu qui permet d’user du bien, d’en percevoir les fruits et d’en disposer (art. 544 du Code civil).
  2. Tous les démembrements du droit de propriété qui ne comprennent qu’une ou deux prérogatives attachées au droit de propriété. C’est, par exemple :
    • L’usufruit qui permet à l’usufruitier, pendant une durée limitée, d’user et de percevoir les fruits d’un bien dont la nue-propriété appartient à une autre personne.
    • L’usage qui permet d’user de la chose d’autrui.
    • L’habitation qui permet d’habiter avec sa famille dans l’immeuble d’un tiers.
    • La servitude qui permet au propriétaire d’un fonds « dominant » d’exercer certaines prérogatives sur le fond « servant » ( ex : servitude de puisage, de passage etc.).
    • L’emphytéose : qui est un bail à long terme (18 à 99 ans) conférant à son titulaire un droit susceptible d’hypothèque.

Les droits réels accessoires sont dits « accessoires » parce qu’ils garantissent une créance (qui est le « principal »). Ils ne portent pas sur le bien mais sur sa valeur. C’est, par exemple :

Ces droits réels présentent certaines caractéristiques :

Ils donnent un droit de suite et un droit de préférence : 

2) Les droits intellectuels

Leur objet est constitué par des oeuvres immatérielles qui résultent de l’activité intellectuelle. Le point commun de ces droits est de conférer à leur titulaire un monopole d’exploitation opposable à tous.

Ce monopole d’exploitation peut porter sur les oeuvres de l’esprit. Il s’agit par exemple de la propriété littéraire et artistique, c’est à dire l’ensemble des droits que l’artiste ou l’auteur possède sur son oeuvre.

Ce monopole d’exploitation peut aussi porter sur certaines clientèles. Exemples : protection de la clientèle contre les risques de confusion et le droit de céder sa clientèle.

B) Les droits personnels

Ce sont les droits qui existent entre deux personnes lorsqu’une est créancier et l’autre débiteur, «les créances et les dettes» dans la formule d’Henri VIALLETON. Le créancier est en droit d’exiger que son débiteur exécute son obligation.

Il y a donc deux aspects au droit personnel :

  1. Une créance ; 
  2. Une obligation (dette) qui peut être : 
    • Une obligation de donner : c’est à dire transférer la propriété ; 
    • Une obligation de faire : par exemple le salarié doit "faire" le travail qui lui a été confié ;
    • Une obligation de ne pas faire : par exemple le vendeur d’un fonds de commerce ne doit «pas faire» de concurrence à son acheteur en se réinstallant dans un commerce du même type dans un certain périmètre pendant une période donnée. 

Il faut remarquer que le débiteur engage son patrimoine quelle que soit son obligation. En effet toute obligation non exécutée peut entraîner le versement de dommages- intérêts.

Il est impossible de faire une énumération des droits personnels dans la mesure où les intéressés ont, en principe, toute liberté pour prévoir les caractéristiques et l’étendue de leurs obligations. Cependant la loi réglemente certains contrats « type » pour lesquels la liberté contractuelle a été réduit, par exemple : la vente, le bail, le contrat de travail etc. .

Les droits personnels présentent certaines caractéristiques :