LA LOCATION-GÉRANCE

 

Selon les articles L 144-1 à L 144-13 C. Com., dont les dispositions sont d’ordre public, la location-gérance du fonds de commerce est le «contrat ou convention par lequel le propriétaire ou l’exploitant d’un fonds de commerce ou d’un établissement artisanal, en concède partiellement ou totalement la location à un gérant qui l’exploite à ses risques et périls».

Ce type de contrat semble avoir été usité depuis assez longtemps, à l’échelle restreinte du fonds de commerce. Mais cette pratique se limitait à résoudre des situations particulières ou temporaires où le propriétaire du fonds se trouvait dans l’impossibilité de l’exploiter pour des raisons juridiques d’incapacité ou d’incompatibilité. Après la seconde guerre mondiale, l’institution s’est développée en prenant un tour différent. Beaucoup d’épargnants découragés d’investir dans l’immobilier en raison du régime de blocage des loyers, ont placé leurs capitaux dans des fonds qu’ils donnaient en gérance moyennant une redevance non taxée. Ce phénomène ayant suscité inévitablement une spéculation qui a eu pour effet de faire monter le prix de vente des fonds de commerce, hausse qui s’est répercutée sur le montant des redevances, donc des coûts d’exploitation des commerces loués. Ce facteur d’inflation a attiré l’attention du législateur.

Ce mécanisme de la location-gérance peut aussi être une technique retenue dans le cadre d’un circuit de distribution, par exemple, un producteur peut souhaiter avoir ses propres points de vente et en confier la gestion à un gérant libre plutôt que de recourir à un contrat de travail, mais aussi être utilisée dans le cadre familial ou dans la perspective d’une transmission de l’entreprise.

La location-gérance est un contrat original, d’où l’intérêt de son étude, car il organise une situation caractéristique de dissociation entre la propriété et l’exploitation d’un fonds de commerce.

Pour l’étude de ce contrat, nous examinerons dans un premier temps ses caractéristiques, dans un second temps, ses effets à l’égard des tiers, et enfin, son extinction. 

 

I. LES CARACTÉRISTIQUES DU CONTRAT DE LOCATION 

A) Qualification 

La location-gérance ou «gérance-libre» constitue une location portant sur un fonds de commerce, pour l’exploitation duquel le preneur verse un loyer appelé "redevance" qui est l’élément essentiel du contrat.

La location-gérance doit porter sur un fonds de commerce. En conséquence, si tous les éléments qui composent un fonds de commerce ne sont pas réunis et notamment, s’il n’existe pas de clientèle, il ne peut y avoir de location-gérance.

La location-gérance peut aussi porter sur une entreprise artisanale. Il faut toutefois préciser que les fonds de commerce de pharmacie ne peuvent être donnés en location-gérance et doivent être exploités personnellement par leur propriétaire de même pour un débit de tabac ou la concession d’un emplacement d’un Marché d’Intérêt National. Enfin, la location-gérance peut porter sur une succursale et en revanche elle ne peut-être consentie par une entreprise libérale.

De plus, avant de donner un fonds de commerce en location-gérance, les parties ont intérêt à consulter les dispositions du bail commercial afin de s’assurer que celui-ci ne contient pas de clauses interdisant directement ou indirectement la location-gérance. En effet, si le propriétaire du fonds ne respectait pas une telle clause, il commettrait un manquement aux clauses du bail qui justifierait la résiliation du bail, sauf à demander au bailleur de déroger à cette règle.

Une autorisation administrative doit être sollicitée en premier lieu, toutes les fois que l’activité exercée dans le fonds est elle-même soumise à une autorisation administrative nominative [attribution d’une carte, d’une licence, carte de qualification professionnelle (coiffeur), autorisation administrative (spectacle)].

Le contrat doit être conclu pour une durée déterminée. Les articles L 144-1 et s. du C. Com. n’imposent aucune forme pour le contrat ou son contenu, ils laissent donc le soin aux parties de négocier les termes de cet acte. La rédaction d’un écrit n’est, en principe, pas exigée, l’enregistrement s’applique même aux conventions verbales. Le locataire doit exploiter le fonds à ses risques et périls, et acquiert en conséquence la qualité de commerçant, et devra être dans la possibilité d’être immatriculé au Registre du Commerce et des Sociétés, c’est à dire n’encourir aucune incapacité, incompatibilité ou déchéance de faire le commerce, ne pas avoir fait l’objet d’une sanction personnelle comme les procédures collectives prévue par les articles L 620-1 et s. du C. Com. ou de l’application de la loi du 30 août 1947 sur l’assainissement des professions commerciales.

Le contrat est conclu intuitu personae à l’égard du locataire, puisque l’exploitation lui est confiée en raison de ses qualités personnelles. La gérance libre ne saurait être ni cédée, ni sous-traitée à un autre gérant libre. Le décès ou l’incapacité du locataire est une cause de résiliation du contrat. En revanche, en cas d’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire à l’encontre du locataire-gérant, ce caractère n’entraîne pas de lui-même la résiliation du contrat, l’administrateur ayant en effet la faculté d’exiger la poursuite du contrat en cours.

S’agissant d’un fonds de commerce, du côté du locataire-gérant, le contrat a toujours un caractère commercial. Il constitue le premier acte de commerce, par accessoire, de son exploitation. Du côté du loueur, il en est généralement de même car s’il exploitait le fonds avant de le donner en gérance, il s’agit symétriquement du dernier acte commercial de son exploitation. Ce n’est que dans le cas d’un propriétaire qui n’a ni acheté ni exploité donc un donataire, légataire, ou héritier que l’acte sera civil à son égard.

La qualification de l’acte aura les conséquences habituelles, sur la compétence des tribunaux et aussi en matière de preuve, seule la preuve des actes de commerce pouvant se faire par tous moyens. Pour l’application de dispositions particulières, la compétence appartient toujours au Président du Tribunal de Grande Instance.

Le contrat de location-gérance doit être publié dans un journal d’annonces légales, en vue d’en informer les tiers. La publication se fait dans la quinzaine de la signature sous forme d’extraits ou d’avis dans un journal habilité par le préfet du lieu du siège du fonds de commerce.

 

II. LES CONDITIONS IMPOSÉES AU LOUEUR, PROPRIÉTAIRE DU FONDS 

Alors que le législateur n’a mis aucun obstacle particulier à l’entrée en fonction d’un locataire-gérant, l’article L 144-2 du C. Com. impose certaines conditions au loueur.

Il doit avoir exploité pendant deux ans au moins le fonds mis en location gérance.

Pour justifier qu’il est commerçant, le loueur doit apporter la preuve qu’il a été inscrit au Registre du Commerce et des Sociétés en cette qualité.

Indépendamment de ces exceptions légales, les délais prévus par l’article L 144-1 du C. Com. peuvent être réduits ou supprimés par ordonnance du Président du Tribunal de Grande Instance rendue sur simple requête de l’intéressé. Le ministère public entendu, cette dispense peut-être prononcée lorsque le propriétaire justifie qu’il est dans l’impossibilité d’exploiter le fonds personnellement. La dispense est généralement accordée lorsque le propriétaire justifie d’un intérêt légitime et de l’absence d’intention spéculative.

En cas de non respect de ce délais, la location-gérance est nulle. 

 

III. LES EFFETS DE LA LOCATION-GÉRANCE

A) Effets du contrat entre les parties 

1°) En ce qui concerne le loueur

Le loueur a une obligation de délivrance, c’est à dire qu’il doit remettre au locataire tous les biens composant le fonds de commerce, à l’exclusion des marchandises. Afin d’éviter toute contestation, un état contradictoire du matériel loué est établi. Le loueur reste propriétaire du fonds de commerce.

De plus, le loueur doit garantir au locataire la jouissance paisible du fonds. Il doit en conséquence s’abstenir de le concurrencer, même si le contrat ne contient pas de clause de non-concurrence.

Le bailleur doit permettre l’exploitation du fonds de commerce par le locataire gérant. Il doit donc délivrer et maintenir en état d’exploitation et en assurer une jouissance paisible pendant la durée du bail.

Le locataire-gérant a l’obligation d’exploiter le fonds afin d’en tirer profit et de ne pas le laisser péricliter. Cette poursuite de l’activité intervient aux risques et périls du locataire. Il s’agit là d’une condition essentielle du contrat de location-gérance.

Le locataire-gérant doit respecter la destination du fonds, il ne peut adjoindre au fonds une nouvelle activité sans l’accord du loueur. En effet, en cas de non respect de la destination du fonds, le propriétaire des murs serait en mesure de résilier le bail commercial.

Le locataire-gérant doit payer au propriétaire du fonds, la redevance. Son montant est fixé dans le contrat, et peut-être en fonction du chiffre d’affaires réalisé par le locataire.

En principe, le locataire-gérant ne peut pas céder ni sous-louer son droit à l’exploitation du fonds, sauf accord du propriétaire ou sauf clause contraire au contrat.

En principe, le locataire-gérant est obligé d’entretenir le fonds en état d’être exploité, mais cette obligation est souvent mise contractuellement à la charge du locataire-gérant.

Le locataire gérant doit exploiter « en bon père de famille ». Il ne peut ainsi faire aucun acte risquant de porter atteinte à la clientèle ou la détourner.

B) Effets du contrat à l’égard des tiers

1°) En ce qui concerne le propriétaire des murs du fonds

Seul le loueur, titulaire d’un bail commercial, entretient des relations contractuelles avec le propriétaire des locaux où est exploité le fonds de commerce. Le locataire-gérant est un tiers vis-à-vis du bailleur.

En conséquence, seul le loueur bénéficie des dispositions du décret du bail commercial art. L 144-1 et s. du C. Com. notamment du droit au renouvellement, et il doit assumer les obligations résultant du bail. Si le locataire-gérant a contrevenu à une clause du bail commercial, le bail pourra être résilié à l’encontre du loueur. Le contrat de location- gérance stipule souvent que le locataire gérant exécute en lieu et place du propriétaire du fonds toutes les clauses charges et conditions du bail des locaux.

2°) En ce qui concerne les créanciers du loueur

Les créanciers du loueur ne deviennent pas par l’effet de la location-gérance les créanciers du locataire-gérant.

C’est pourquoi, les créanciers à terme ont la possibilité dans les trois mois à compter de la publication du contrat dans un journal d’annonces légales, d’introduire une action devant le tribunal de commerce pour déclarer leurs créances immédiatement exigibles. Le tribunal ne prononcera la déchéance du terme que s’il estime que la location-gérance met en péril le recouvrement de la créance.

Le locataire gérant n’est pas tenu de plein droit de poursuivre les contrats de travail, règle posée par l’art. L 122-12 du Code du Travail.

3°) En ce qui concerne les créanciers du locataire gérant

Pendant un délai de six mois à compter de la conclusion du contrat, le loueur du fonds est solidairement responsable avec le locataire-gérant des dettes contractées par celui-ci à l’occasion de l’exploitation du fonds.

Le loueur du fonds ne peut pas invoquer la nullité de location-gérance pour se soustraire à sa responsabilité.

Seuls, les mandataires de justice, chargés de l’administration d’un fonds de commerce, qui l’ont donné en location-gérance en vertu d’une autorisation du tribunal qui les a nommés ne sont pas solidairement responsables des dettes contractées par le locataire.

En ce qui concerne les impôts directs, c’est à dire impôt sur le revenu, plus-values, taxe professionnelle, le propriétaire du fonds est solidairement responsable avec le locataire-gérant pendant toute la durée de la location-gérance.

 

IV. EXTINCTION DE LA LOCATION-GÉRANCE 

A) Les causes

Le contrat de location-gérance étant généralement conclu pour une durée déterminée, il prend alors fin au terme convenu, sans que le locataire puisse prétendre à un droit au renouvellement du contrat.

Un contrat à durée indéterminée peut-être résilié à tout moment par chacune des parties, mais cette rupture ne doit pas être abusive, et doit respecter un délai de congé raisonnable ou contractuel.

Comme tout contrat, l’inexécution d’une des obligations du contrat peut entraîner la résolution ou résiliation judiciaire du contrat.

Enfin, le contrat peut prendre fin à la suite de la disparition du fonds ou en cas de décès du locataire-gérant, le contrat étant conclu intuitu personae, ou encore en cas d’achat du fonds par le locataire-gérant. 

B) Les conséquences de l’extinction du contrat

La fin de la location-gérance doit être publiée dans les quinze jours dans un journal d’annonces légales. Le locataire-gérant doit demander sa radiation au Registre du Commerce. Le défaut de publicité rend inopposable aux tiers la fin du contrat de location-gérance.

Le locataire-gérant doit restituer au loueur, tous les éléments qui composaient le fonds au moment de la conclusion du contrat. Les moins-values subies par les éléments du fonds sont à la charge du locataire-gérant et les plus-values ne donnent en principe droit à aucune indemnité.

La fin de la location-gérance rend immédiatement exigible les dettes afférentes à l’exploitation du fonds contractées par le gérant pendant la durée de la gérance.

En principe le contrat de location-gérance contient une clause de non-concurrence limitant le droit du locataire de se rétablir à l’issue de la location-gérance. A défaut, le locataire-gérant peut se rétablir à condition d’éviter de provoquer dans l’esprit de la clientèle une confusion entre son nouvel établissement et le fonds précédemment géré, afin d’éviter de se rendre coupable de concurrence déloyale, ainsi il est interdit d’utiliser des procédés déloyaux et illicites pour détourner la clientèle à son profit.