LE RÉFÉRÉ

Tout titulaire d’un droit qui est menacé dans ses intérêts peut demander au président du tribunal compétent quoique non saisi au principal, de prendre par ordonnance, dans les meilleurs délais, la mesure provisoire appropriée pour faire cesser le trouble dont il est l’objet. Cette procédure porte le nom de référé. Elle était connue déjà sous l’Ancien Régime. Elle a en effet pris naissance dans les usages du lieutenant civil du Châtelet de Paris, l’édit royal de janvier 1685 l’avait réglementée. Elle figurait aussi dans le Code de procédure civile de 1806 aux articles 806 à 811. Mais ce Code concernait le référé de façon restrictive, en prenant appui sur deux principes : d’une part la fonction était réservée au seul président du tribunal civil ; d’autre part le juge des référés ne devait pas avoir une compétence plus étendue que celle du tribunal dont il était l’émanation.

Le législateur du XXè siècle a élargi cette conception étroite. Il a institué le référé commercial par la loi du 11 mars 1924 en conférant la qualité de juge des référés au président du tribunal de commerce. Il a ensuite associé cette qualité au président du tribunal paritaire des baux ruraux qui on le sait est le juge d’instance. Le référé est devenu également possible en matière administrative et fiscale, le président du tribunal administratif ayant reçu les pouvoirs de juge des référés (lois du 28 novembre 1955 et du 28 décembre 1959). On a permis aussi au juge d’instance et aux juridictions prud’homales de prendre des ordonnances de référé.

Le référé présente un certain nombre d’avantages : il est rapide, la décision peut être obtenue en quelques heures et au plus tard en quelques jours lorsque l’affaire est complexe. Il est efficace : l’ordonnance est exécutoire de plein droit par provision, et parfois même exécutoire sur minute en cas d’extrême urgence.

Le référé répond ainsi à une préoccupation majeure du législateur moderne : faire rendre la justice par un juge unique afin de rapprocher le justiciable du juge et de simplifier le déroulement de la procédure.

Les textes qui concernent le référé sont les articles 808 à 811 du nouveau Code de procédure civile (pouvoirs du président du tribunal de grande instance), 872 et 873 du même code (pouvoirs du président du tribunal de commerce) et 484 à 492 dudit code (mise en oeuvre de référé). Nous étudierons dans une première partie les conditions générales de validité du référé et dans une seconde partie les règles de procédure auxquelles il est soumis.

I. CONDITIONS GENERALES DE VALIDITE DE L’ACTION EN REFERE

Une action en référé ne peut être présentée au Président du tribunal que si les conditions fixées par la loi sont remplies. Il est des cas où l’urgence est une condition nécessaire de la compétence du juge ; dans d’autres cas elle est présumée et résulte des circonstances ; dans certaines hypothèses elle n’est pas exigée.

A) Urgence, condition nécessaire

Dans tous les cas d’urgence, le président du tribunal de grande instance peut ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou qui justifie l’existence d’un différend (art. 808, N.C.P .C.). Le texte suggère une distinction entre deux hypothèses.

B) Cas dans lesquels l’urgence est présumée & résulte des circonstances

L’article 809, al. 1 du N.C.P.C. reconnaît compétence au président pour prescrire en référé des mesures conservatoires (tels scellés, inventaire) ou de remise en état s’imposant pour prévenir un dommage imminent, ou pour faire cesser un trouble manifestement illicite. Il peut en être ainsi lorsqu’un commerçant demande au juge de faire cesser un acte de concurrence déloyale ou lorsqu’une personne (physique ou morale) sollicite du juge l’interdiction de la publication d’un article de presse qui porte atteinte à sa vie privée. L’urgence est alors présumée de manière irréfragable. C’est ce qui explique que le juge des référés, saisi d’une demande tendant à faire cesser un trouble manifestement illicite, ne doit pas surseoir à statuer jusqu’à une réponse de la Cour de justice des communautés européennes à une question préjudicielle qu’il lui aurait posée.

C) Cas dans lesquels l’urgence n’est pas exigée

Il existe trois éventualités dans lesquelles le juge des référés peut prendre une décision sans avoir à constater qu’il y a urgence.

  1. Difficultés d’exécution
    Le juge des référés est compétent, traditionnellement pour statuer sur les difficultés d’exécution d’un jugement ou d’un autre titre exécutoire (acte notarié, contrat administratif par exemple). Cette possibilité est expressément prévue par l’article 811 du Nouveau Code de Procédure Cvile. Ces difficultés d’exécution peuvent aussi bien être celles qui suivent un jugement du tribunal de grande instance que celles qui surviennent après une décision d’un tribunal d’exception : tribunal de commerce, conseil des prud’hommes, tribunaux des affaires de sécurité sociale, à l’exception des tribunaux paritaires des baux ruraux. Le requérant n’a pas à démontrer ni l’urgence, ni l’absence de contestation sérieuse. Il faut noter que le recours en référé est précieux en matière de voies d’exécution : autorisation de saisir-arrêter, de saisir conservatoirement sur appel d’une ordonnance sur requête, main-levée de saisie, cautionnement de saisie-arrêt.

  2. Référé–provision
    L’article 809, al. 2 du Nouveau Code de Procédure Civile autorisé par le juge des référés à accorder au créancier une provision à verser par le débiteur, si l’existence de la créance n’est pas sérieusement contestable. Le juge des référés peut accorder la provision sans avoir à constater l’urgence. Le référé peut être obtenu même si la créance n’a pas été définitivement établie en justice. La voie du référé-provision est cependant fermée au créancier si le litige relatif à la créance invoquée doit être différée à l’arbitrage, tout du moins, à défaut de stipulation expresse tant que le tribunal arbitral n’est pas saisi. Il en est de même si le débiteur a été mis en redressement judiciaire. La condamnation par provision a pour effet de conférer au créancier un titre provisoirement exécutoire mais ne constitue pas une voie d’exécution. Bien que le créancier puisse poursuivre en paiement le débiteur sur la base de ce titre, il ne peut pas obtenir paiement sur la seule production de l’ordonnance de condamnation sans avoir préalablement procédé à une saisie.

  3. Mesures d’instruction in futurum
    Il arrive souvent que l’on demande au juge des référés d’ordonner des mesures d’instruction, c’est même l’une des grandes utilités du référé. La mesure d’instruction in futurum permet de se pré constituer une preuve que l’on pourra ensuite utiliser dans le cas où le litige surviendrait. L’article 145 du N.C.P.C. exige qu’il existe un motif légitime de demander la mesure.

II. PROCEDURE DU REFERE

A) Compétence du juge des référés

Traditionnellement, la compétence du président ne pouvait guère s’exercer en référé que dans les cas où la mesure que l’on requerrait de lui n’était pas susceptible de « faire préjudice au principal ». Tel était le sens de l’article 809 du N.C.P.C., le texte voulant dire que l’ordonnance de référé devait avoir un caractère essentiellement provisoire et ne jamais entamer le fond du droit, ne jamais empiéter sur la décision que prendra plus tard le tribunal ultérieurement saisi du procès.

Bien que l’ancien article 808 du Code de Procédure ait été modifié, son esprit demeure. Toutefois les nouveaux textes précisent que le juge des référés, s’il ne peut condamner à des dommages et intérêts, a le pouvoir de prononcer une condamnation à une astreinte (art. 491, al. 1 & 2, N.C.P .C.), de la liquider provisoirement et de statuer sur les dépens.

Le président du tribunal de grande instance est juge de droit commun en matière de référé. Il peut se déclarer compétent dans les domaines qui excèdent la compétence normale ou exclusive de cette juridiction conformément à l’art. 810 du Nouveau Code de procédure civile qui prévoit que dans les cas d’urgence des articles 808 et 809, les pouvoirs du président s’étendent à toutes les matières où « il n’existe pas de procédure particulière de référé ».

B) Audience de référé

Le président tient l’audience du référé d’une manière périodique et régulière (art. 485, N.C.P.C.). Mais si le cas requiert célérité, le président peut permettre d’assigner soit à l’audience, soit à son domicile, portes ouvertes à une heure indiquée et cela même un jour férié ou chômé, mais il faut alors obtenir une autorisation préalable d’assigner (art. 485, al. 2, N.C.P.C.).

Le président a la faculté de renvoyer le référé à une audience du tribunal en formation collégiale dont il fixe la date (art. 487, N.C.P.C). Le tribunal statuera collégialement mais en référé.

Le référé est une procédure contradictoire à la différence de la requête. Ainsi, le président doit s’assurer qu’il s’est écoulé un temps suffisant entre l’assignation et l’audience pour que le défendeur ait pu préparer sa défense (art. 486, N.C.P.C). Les parties comparaissent en personne ou par mandataire. Le ministère des avocats n’est pas imposé. Les parties exposent leurs prétentions et le président statue immédiatement ; il peut cependant ordonner une mesure d’instruction et renvoyer à une audience ultérieure. L’ordonnance bénéficie de l’exécution provisoire. Dans certains cas d’absolue nécessité, elle peut être exécutée sans signification préalable et au simple vu de la minute (art. 489, al. 2, N.C.P.C).

C) Recours contre l’ordonnance de référé

L’article 488, al. 2 du Nouveau Code de Procédure Civile précise que les ordonnances de référé sont toujours provisoires et qu’elles peuvent être modifiées ou rapportées par le président du tribunal. Les ordonnances de référé n’ont pas autorité de chose jugée au principal. En ce qui concerne les voies de recours, l’ordonnance rendue en dernier ressort par défaut n’est pas susceptible d’opposition.

L’appel est possible, sauf si l’ordonnance émane du premier président de la Cour d’appel ou si elle a été rendue en dernier ressort en raison du montant ou de l’objet de la demande. Le délai d’appel est de quinze jours à compter de la notification de l’ordonnance. Saisie de l’appel d’une ordonnance de référé, la cour n’a pas plus de pouvoirs que le premier juge et s’agissant de la compétence elle statue dans les limites de celles du premier juge, ne pouvant faire jouer sa plénitude de juridiction. L’arrêt de la Cour d’appel à la même portée que l’ordonnance de référé.