L’inexécution du contrat

58. Interdiction de se faire justice à soi-même. Sauf le cas où la loi ou le contrat ont prévu la résolution de plein droit ou celui où les tribunaux admettent une résiliation unilatérale pour motif légitime, le cocontractant victime de l’inexécution du contrat ne doit pas en tirer lui-même les conséquences. En particulier, il ne doit pas évaluer lui-même le montant des dommages-intérêts auquel il prétend avoir droit et l’imputer sur le montant du prix dont il est débiteur envers son cocontractant (Com. 18 mars 1970, Bull. des transports 1970.227) ; il doit demander au juge de constater l’inexécution et de lui accorder la sanction à laquelle il aspire.

Pour agir légalement, il doit se comporter comme il est exposé ci-après :

A. Mise en demeure

59. La mise en demeure est toujours exigée si le contrat la prévoit (Civ. 20 juin 1978, D. 1979.I.R.11) et dans les conditions fixées par le contrat (Paris 16 décembre 1987, B.R.D.A. 1988/6 p. 9).

Elle l’est aussi même si le contrat ne l’a pas prévue (article 1146 du Code civil), sauf si le contrat l’a écartée (article 1139 du Code civil), si l’exécution était impossible (Com. 4 juillet 1955, Bull. III p. 199), si le débiteur a laissé passer les délais d’exécution (article 1146 du Code civil), si le débiteur refuse formellement d’exécuter (Civ. 3 avril 1973, Bull. III p. 184) ou s’il est établi que l’inexécution résulte de sa faute (Com. 22 février 1994, R.J.D.A. 7/94 n°770).

La mise en demeure peut résulter d’une lettre, simple ou recommandée, pourvu qu’il ressorte de ses termes une interpellation suffisante (article 1139 du Code civil).

Lorsque la mise en demeure est requise le créancier ne peut reprocher au débiteur l’inexécution de ses obligations qu’après son accomplissement (cf. articles 1138 et 1146 du Code civil).

B. Suspension du contrat

60. Les effets du contrat peuvent être momentanément suspendus par le juge lorsque la cause de l’inexécution est temporaire, par exemple lorsqu’elle tient à la guerre (Req. 24 octobre 1922, G.P.2.693).

Ils le sont aussi lorsque les parties ont elles-mêmes aménagé la suspension en en fixant les causes et les effets.

C. Exception d’inexécution.

61. Lorsque le contrat est synallagmatique, la partie qui n’a pas encore exécuté son obligation peut s’abstenir de le faire si son cocontractant n’a pas exécuté la sienne ou a refusé d’y procéder (Req. 17 mai 1938, D.H. 1938. 419). Mais elle ne peut pas rompre le contrat (Com. 1er décembre 1992, R.J.D.A. 1/93 n°2).

La partie qui désire invoquer l’inexécution soulève ce qui est appelé l’exception d’inexécution . Elle ne doit pas être la première à devoir une prestation. Elle ne peut le faire que si l’inexécution est effective et suffisamment grave. Il a, par exemple, été admis, que l’impossibilité de payer le prix d’achat d’un fonds de commerce du fait de la conversion du règlement judiciaire de l’acquéreur en liquidation des biens avant l’assignation du vendeur par le syndic aux fins de passation de l’acte authentique justifiait l’exception d’inexécution de la part du vendeur (Com. 18 décembre 1986, Bull. IV, p. 211), en fait l’objet : fonds liquidé est devenu inexistant.

D. Exécution forcée du contrat

62. Condamnation à exécution sous astreinte. La partie qui n’exécute pas ses obligations contractuelles peut être condamnée en justice à assumer en nature ses prestations si le cocontractant le demande et si cette exécution est possible (article 1184, alinéa 2 du Code civil ; Corn. 3 décembre 1985, G.P. 1986 pan. 72). Mais cette condamnation ne peut qu’indirectement forcer le débiteur en faisant peser sur son patrimoine une menace pécuniaire, dite astreinte, pour le cas où il ne céderait pas, car il est de principe que toute obligation de faire se résout en dommages-intérêts (article 1142 du Code civil). En pratique, la condamnation sous astreinte n’est guère refusée que pour l’exécution des obligations qui supposent une implication personnelle, physique et morale, du débiteur; par exemple, ne peut être condamné sous astreinte celui qui s’est engagé à dispenser un enseignement (TGI Paris 3 octobre 1968, G.P . 1968.2.354 note Doucet).

63. Remplacement. Le contractant qui n’obtient pas l’exécution du contrat peut être autorisé en justice à faire exécuter lui-même l’obligation aux dépens de son cocontractant défaillant (article 1144 du Code civil).

64. Réfaction. Le contractant lié par un contrat commercial (Corn. 15 décembre 1992, R.J.D.A. 4/93 n° 304) peut obtenir du juge une diminution du prix fixé au contrat, lorsque l’exécution de la prestation (fourniture, prestation de service, mise en location) est défectueuse (par exemple, à propos d’un contrat d’entreprise, Com. 7 juillet 1983, G.P. 1984 pan. 6).

E. Réparation du dommage

65. Le contractant qui subit un dommage, du fait de l’inexécution ou de la mauvaise exécution ou du retard d’exécution du contrat par l’autre partie, peut lui en demander réparation, sous forme de dommages-intérêts ou en nature (article 1147 du Code civil). Il lui sera fait, en vue du résultat, application des règles suivantes :

66. Invocation d’un dommage réparable. Le dommage réparable doit être certain, direct et personnel (article 1151 du Code civil);

Mais seul le dommage prévisible est réparable (article 1150 du Code civil). Jugé, par exemple, que la solidification du fuel livré à la suite d’une baisse importante de la température était imprévisible car cet événement, bien que ne présentant pas les caractères de la force majeure, était néanmoins exceptionnel (Paris 27 septembre 1991, R.J.D.A. 11/91 n° 895).

Quant à l’étude du dommage, la victime peut demander le remboursement des dépenses provoqué par la mauvaise exécution du contrat ainsi que, le cas échéant, la dépréciation des biens endommagés, les frais financiers dus aux dépenses occasionnées, le préjudice commercial, la perte de la chance de tirer parti du contrat et le préjudice moral.

67. Démonstration de l’absence de cause étrangère. La victime n’a droit à réparation que si la partie poursuivie comme auteur du dommage ne parvient pas à prouver que celui-ci est dû à une cause étrangère (article 1147 du Code civil). Cette cause étrangère existe si elle réside en un événement imprévisible, irrésistible ( insurmontable ) et extérieur. Cet événement peut être un fait de la nature ou le fait à un tiers; on le désigne alors par les termes, bien connus, de force majeure. La cause étrangère peut aussi tenir au vice de la chose objet du contrat.

68. Application de l’évaluation forfaitaire du dommage : clause pénale. La clause pénale est la clause «par laquelle une personne, pour assurer l’exécution d’une convention, s’engage à quelque chose en cas d’inexécution» (article 1226 du Code civil). Le juge peut réduire ou majorer la peine convenue si elle est manifestement excessive ou dérisoire (article 1152, alinéa 2 du code civil). Mais le juge doit, en toute hypothèse, accorder au moins la valeur du préjudice subi: ainsi, il ne peut pas réduire la prime qui ne recouvre pas le montant du préjudice (Com. 7 novembre 1978, Bull. IV p. 211).

69. Évaluation par le juge. La réparation du préjudice doit être intégrale, mais elle ne peut être supérieure à la valeur du dommage (Corn. 11 juillet 1983, D. 1985. 347 note Chartier).

La réparation peut être, toutefois, inférieure à la valeur du dommage si les parties sont convenues d’une limitation du montant de l’indemnité. Néanmoins, la réparation est intégrale si le cocontractant a causé le dommage en commettant un faute dolosive ou lourde. Le dol est une faute intentionnelle (Civ. 28 octobre 1987, J.C.P. 1988. IV. 2). La faute lourde consiste en une négligence grossière que l’homme le moins averti ne commettrait pas dans la gestion de ses propres affaires (Paris 21 novembre 1981, G.P. 1982 som. 185).

70. Réparation en nature. La réparation en nature peut être ordonnée par le juge dans tous les cas où l’exécution forcée de l’obligation peut être imposée au débiteur (supra n°62). Le juge apprécie souverainement les modalités de réparation du préjudice (Civ. 17 janvier 1978, Bull. III p. 33). Par exemple, il peut indemniser les pertes consécutives à un investissement malheureux en obligeant celui qui avait conseillé cet investissement (souscription de parts dans des sociétés civiles immobilières) à le reprendre à son compte et à en assumer les suites (Civ. 28 avril 1986, G.P. 1986 pan. 174).

F. Rupture du contrat

71: La rupture du contrat peut être obtenue, pour sanctionner une inexécution, par les voies suivantes :

72. Résiliation unilatérale du contrat. Cette résiliation, qui met fin au contrat pour l’avenir, peut résulter :

  1. de la décision de l’une ou de l’autre des parties, à tout moment, lorsque le contrat est à durée indéterminée, nul ne pouvant être engagé perpétuellement (Civ. 5 février 1985 Bull. I p. 52) ; mais cette résiliation ne doit pas être décidée brutalement (Com. 1er mars 1986, B.R.D.A. 1986/10 p. 21);
  2. d’une clause autorisant chaque partie ou l’une d’elle à résilier le contrat; cette clause peut être librement aménagée par les intéressés ;
  3. d’un motif légitime de résiliation, il en est ainsi :

73. Résolution du contrat. Le contrat peut être rétroactivement anéanti en cas d’inexécution de ses obligations par une partie, soit par l’effet d’une clause résolutoire de plein droit, soit par décision du juge (article 1184 du Code civil).

  1. La clause résolutoire est librement conçue par les parties qui doivent préciser les manquements contractuels devant provoquer la révocation et les modalités de mise en jeu de la clause. La clause produit effet dès que les conditions prévues sont remplies, sauf dans trois cas : le juge peut suspendre la résolution d’un bail commercial (article 25 du décret du 30 septembre 1953 devenu art. L- 145 du c. com.) ; l’administrateur ou le liquidateur en cas de redressement ou de liquidation judiciaire peut imposer la continuation des contrats conclus par les débiteur (articles 37 et 153-2 de la loi du 25 janvier 1985) ; le juge peut priver le demandeur du bénéfice de la résolution si celle-ci a été invoquée de mauvaise foi (Civ. 29 juin 1976, G.P. 1976.2 pan 240).
  2. La résolution est prononcée par le juge lorsqu’une inexécution suffisamment caractérisée des obligations contractuelles est constatée (Corn. 15 juin 1983, D. 1984. I.R. 175).
  3. Dans tous les cas, la résolution a pour effet de remettre les parties dans l’état où elles se trouvaient avant la conclusion du contrat, chacune devant restituer à l’autre ce qu’elle a reçu d’elle (Civ. 23 octobre 1974, Bull. I, p. 237; Civ. 17 mai 1977, Bull. III p. 164).

G. Annulation du contrat

74. La nullité du contrat sert indirectement à sanctionner l’inexécution de celui-ci. Elle est souvent invoquée, en effet, par celui qui ne veut pas exécuter le contrat et qui cherche à s’en dégager. Pour cela, il prétend que le contrat est nul au motif qu’il ne remplit pas les quatre conditions de validité imposées par la loi (supra n°s 10 s).

Le régime de la nullité du contrat est fonction de deux qualifications fondamentales :

  1. d’une part, les nullités relatives qui, sanctionnant la violation d’une règle protectrice d’un intérêt privé, peuvent être invoquées par le titulaire de cet intérêt, être confirmées par lui (renonciation à invoquer la nullité du contrat) et qui se prescrivent par cinq ans ;
  2. d’autre part, les nullités absolues qui, sanctionnent la violation d’une règle protectrice d’un intérêt général (supra n° 6), peuvent être invoquées par tout intéressé, ne sont pas susceptibles de confirmation et qui se prescrivent par trente ans. La nullité relative et la nullité absolue ont des effets identiques, seule leur mise en oeuvre est différente.

Le plus souvent la loi ne prescrit pas la nullité de l’acte contraire à la règle violée. Les tribunaux sont alors souverains pour décider, cas par cas, si la transgression d’une règle doit entraîner la nullité de l’acte.

L’annulation du contrat entraîne le rétablissement des parties dans la situation qui était la leur antérieurement au contrat.

Chacune doit restituer à l’autre ce qu’elle a, le cas échéant, reçu d’elle. Toutefois, la restitution des biens ou prestations échangées en exécution du contrat est écartée lorsque l’un des contractants ne peut pas rendre ce qu’il a reçu. Il en est notamment ainsi du locataire qui ne peut pas restituer la jouissance passée dans l’immeuble. Dans cette hypothèse, chaque partie doit obtenir une indemnisation proportionnelle aux prestations qu’elle a fournies.

Le demandeur en nullité peut, en outre, exiger des dommages-intérêts en réparation du préjudice que lui cause l’anéantissement du contrat (supra n° 65 et s.).